mercredi 5 octobre 2011

Comment ne pas penser au Crédit Agricole dans cet exemple...

Management
La crise bancaire est d'abord une crise de gouvernance


Trois ans après l'affaire des subprimes, ces crédits hypothécaires à risque, le spectre des crises bancaires est de retour. En réaction, le Fonds monétaire international (FMI) invite des banques à se recapitaliser et on attend que de nouvelles régulations (Bâle 3) forcent le secteur à la prudence. Mais pourquoi les banques prennent-elles tant de risques ?
On évoque souvent l'appât du gain, les bonus des traders, mais pour quelles raisons un management compétent, éclairé par de bons experts et un conseil d'administration vigilant, accepterait-il de courir au précipice ? Reste une explication structurelle : en finance, beaucoup plus que dans d'autres secteurs, les activités les plus profitables sont nécessairement les plus risquées. Dès lors, la promesse de profits et de dividendes élevés imposerait de prendre des risques déraisonnables.
C'est ce mécanisme qu'a mis au jour le Sénat américain dans son enquête sur la banque Washington Mutual (WAMU) dont la faillite, en septembre 2008, a été éclipsée par la chute de Lehmann Brothers. C'est pourtant la plus grande faillite bancaire de l'histoire des Etats-Unis (" Wall Street and the Financial Crisis : Anatomy of a Financial Collapse ", United States Senate, April 2011).
Stratégie agressive
Née en 1890, WAMU était une caisse d'épargne mutualiste de taille moyenne spécialisée dans les prêts hypothécaires garantis par les institutions fédérales. En 1983, elle devint une société anonyme. De 1996 à 2002, son succès lui permit plusieurs acquisitions qui en firent la première caisse d'épargne et la sixième banque du pays à une époque où s'imposait l'idée que la valeur pour l'actionnaire est le meilleur critère de performance, y compris pour une banque.
Sur ce principe, en juin 2004, le PDG de WAMU proposa une stratégie agressive : " Notre but pour les cinq prochaines années sera d'atteindre un rendement moyen du capital d'au moins 18 % et une croissance des dividendes de 13 % en moyenne par an. "
A cette fin, la banque devait développer des produits plus rentables - " Nous devons réorganiser nos ventes et nos réseaux dans le pays pour proposer des produits à fortes marges. " Reste que ceux-ci étaient à haut risque et que cette stratégie fut adoptée malgré les avertissements des experts.
L'exposition de WAMU ne tarda pas à s'inverser. En 2003, les prêts prudentiels et à faible marge formaient 65 % du volume d'activités de la société, ils tombèrent à 25 % en 2006. A l'inverse, les prêts à haut risque (subprimes notamment) passèrent de 19 % à 55 %. La WAMU semblait certes plus profitable, mais à l'intérieur de l'entreprise, les signaux d'alerte se multipliaient. En vain.
Un piège implacable
Dès 2004, le chief risk officer avait prévenu le PDG du groupe qu'une bulle immobilière était avérée. Mais ses agents n'eurent jamais l'autorité nécessaire pour bloquer des prêts hypothécaires insensés, voire maquillés, surtout s'ils pouvaient être revendus (c'est-à-dire titrisés). Durant l'année 2005, se sentant débordé, il dénonça un " appétit croissant pour le risque ". Mais en 2007, son service fut décentralisé et placé sous la responsabilité des divisions commerciales, perdant ainsi toute indépendance. En septembre 2008, WAMU coula à pic.
L'enquête du Sénat américain livre une moisson de données (messages, documents internes...) qui est sans équivalent pour comprendre la crise. Elle confirme une logique d'autant plus inexorable que le PDG de WAMU, en poste depuis onze ans, n'a pu éviter la rupture stratégique de 2004.
Le primat de la valeur actionnariale est partout contestable, mais pour les établissements bancaires, c'est un piège implacable. Toutes n'ont pas connu le sort fatal de WAMU mais l'avertissement est clair : il faut adopter une gouvernance des banques qui ne provoque pas un appétit compulsif pour le risque. Sans quoi les régulations attendues n'auraient que peu d'effets.
Armand Hatchuel
Armand Hatchuel,
professeur
à Mines ParisTech.
© Le Monde

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