dimanche 6 septembre 2015

Les agriculteurs sont des grands enfants!


Nous avons été manifester à Paris et il faut bien reconnaître que nous avions un peu d’amertume en revenant, nous nourrissions tantd’espoir dans la revalorisation des prix agricoles. Mais nous ne sommes pas en Corée du Nord ni au temps de l’URSS et dans une économie de marché que nous avons voulue et défendue ce n’est pas le gouvernement qui fixe les prix.
Cependant ce marché est faussé. Il l’est pas le dumping social des autres pays européens et à fortiori des pays tiers, mais il l’est aussi par la trop grande administration de notre agriculture européenne ne laissant aucune souplesse. Nous appliquons en Europe des plans septennaux comme en URSS où tout est figé durant sept ans dans une économie de marché complètement libre et vouée au marché mondial. Ces deux éléments sont absolument incompatibles et forcément certains acteurs en jouent, comme par exemple dans le marché de la viande, pour bloquer la libre circulation se réfugiant derrière un règlement européen pour en tirer un profit personnel maximum.
Ajouté à cela des décisions politiques d’embargo, de représailles ou des problèmes sanitaires plus ou moins fictifs et c’est toute l’économie agricole qui en pâtit, par répercussion les millions d’agriculteurs qui n’ont aucun autre choix de subir, atomisés par leur très grand nombre et leur manque d’organisation.
On assiste à la situation la plus ubuesque possible où le producteur à la base de la pyramide économique permet à des millions de gens de travailler sur leurs débouchés et d’en vivre bien, sans pour autant en récupérer le moindre bénéfice. Dans tous les autres secteurs économiques le producteur fixe le prix, sa marge et jusqu’au consommateur final les intermédiaires répercutent leurs coûts et leur marge.
En agriculture c’est l’inverse : le pouvoir politique décide que le citoyen doit manger des aliments de bonne qualité sanitaire, et si possible nutritionnel, au plus bas prix possible,  laisse les intermédiaires fixer leurs marges et si il ne reste rien pour le producteur, dans sa grande clémence ce même pouvoir politique accorde quelques subsides sous forme d’aides avec de nombreuses contraintes administratives, car il ne faudrait tout de même pas que tout cet argent public qu’on distribue si chichement ne permette à quelque producteur d’avoir des goûts de luxe en prenant des vacances par exemple, pour se reposer des 70  heures de travail par semaine.
Ainsi donc le manant cul terreux parfois se rebelle et à grands coups de bennes de fumier devant les préfectures ou par une grande manifestation dans la capitale derrière son syndicat plus que majoritaire qu’on dit puissant, vient chercher un complément d’aide afin de passer les crises.
Et dans cette nouvelle crise que le monde agricole vit à la suite de bien d’autres et avant celles à venir, le gouvernement en place accorde ces nouvelles aides devenues habituelles, et criant haut et fort qu’on pèsera tout son poids à Bruxelles pour tout changer ce que tous s’accordent à constater que cela ne marche pas, pourtant après l’avoir mis en place.
Mais les agriculteurs ont une grande responsabilité et malgré mes responsabilités syndicales qui me motivent à défendre la cause agricole dans son ensemble, individuellement chacun ne fait pas toujours ce qu’il faudrait pour surmonter ces crises. Par le manque de formation qui laisse trop souvent le conseiller de gestion ou le banquier décider ce qui est bien ou ne l’est pas, par cette contradiction  de comportement qui fait qu’en cas de coup dur la solidarité n’est pas un vain mot mais qui n’empêchera pas de se battre pour les terres libres du voisin, par ce génie à fonder ensemble des coopératives et en laisser les pouvoirs de décision trop souvent sans contrôles à ceux qui sont payés juste pour les faire fonctionner.  Les agriculteurs sont des chefs d’entreprises qui plutôt que d’économiser sur leur outil de travail pour leur famille ou leur plaisir, j’allais dire loisirs, préfèrent trop souvent mettre leur bénéfice dans du matériel neuf et rutilant exposant là un semblant de fierté au mépris d’une dépréciation exponentielle.
Je pourrais citer beaucoup, beaucoup d’autres points exposant les travers d’un métier composé souvent de grands enfants incapables de se rassembler pour tirer de leur métier une raison économique plutôt que passionnelle.
Depuis la fin de la dernière guerre et cette volonté du pouvoir politique de dire aux agriculteurs « produisez nous ferons le reste » c’est un peu l’infantilisation de l’agriculture qui est la cause d’une grande partie des crises qui secouent l’agriculture ou au moins qui l’empêchent de les surmonter.
Bref, comme je sais qu’un texte trop long n’est jamais lu jusqu’à la fin, j’en arriverai à la conclusion que la société tout entière, au travers de son pouvoir politique a le devoir de changer profondément et radicalement les choses en usant de pédagogie et de patience pour le bien de notre sécurité alimentaire qui sera importante dans les années à venir.
Il faut donc réformer l’enseignement agricole en l’axant beaucoup plus sur l’économie notamment au travers de l’apprentissage, accompagner la transformation et le regroupement des filières au travers du système coopératif qui est le seul capable de s’autogérer et d’affronter les tempêtes comme les périodes de beau, et expliquer au consommateur que si il veut continuer à bien manger et rester en bonne santé il doit absolument considérer mieux son kilo de pommes de terre, de viande ou  son litre de lait que son Iphone 6.
En me relisant je me demande si je ne délire pas. Mais après tout est-ce qu’il n’y aurait pas en France, localement, nationalement ou en Europe, des syndicalistes et des hommes politiques capables avec raison d’écrire un nouveau destin pour l’agriculture ?