mardi 3 février 2009

alors ce sont les agriculteurs qui polluent le plus?



Faut-il avoir peur de l'eau ? Celle qui coule dans les rivières et rejoint les océans ou les nappes phréatiques. Celle qui abreuve les cheptels et irrigue les cultures. Celle, même, que nous buvons au robinet...
En jetant l'anathème, début janvier, sur la pilule contraceptive, accusée d'avoir " des effets dévastateurs sur l'environnement ", du fait des hormones relâchées dans la nature via les urines de ses utilisatrices, le Vatican cherchait le diable là où il n'est pas. Pourquoi excommunier la pilule, plutôt que les innombrables polluants - pesticides, détergents, solvants, hydrocarbures, métaux - qui souillent les cours d'eau ? De bonne ou de mauvaise foi, l'Eglise catholique n'en soulève pas moins un problème réel, dont commencent à se préoccuper scientifiques et autorités sanitaires : celui de la contamination des eaux par les résidus médicamenteux.
Des chercheurs canadiens de l'université de Montréal viennent ainsi de mettre en évidence, dans le fleuve Saint-Laurent, de faibles concentrations de molécules utilisées contre le cholestérol, l'hypertension ou le cancer. Une " pharmacie à ciel ouvert ", rapporte Radio-Canada.
De nombreuses études, aux Etats-Unis, au Brésil, en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en Finlande ou en France, décrivent des situations similaires. " La présence de traces de substances médicamenteuses ou de leurs dérivés a été largement établie à l'échelle mondiale, en particulier dans les eaux superficielles et souterraines, dans les eaux résiduaires, dans les boues des stations d'épuration utilisées en épandage agricole et dans les sols ", souligne l'Académie nationale de pharmacie française dans un rapport rendu à l'automne 2008. Toutes les eaux sont contaminées, y compris celles " destinées à la consommation humaine ". L'origine de cette pollution est double. Elle provient, d'une part, des urines et des selles humaines - ainsi que de celles des animaux de compagnie - évacuées dans les eaux domestiques, où se retrouvent aussi des médicaments non utilisés dont, malgré les systèmes de collecte, une partie est directement jetée dans les toilettes ou les égouts. Elle résulte, d'autre part, des rejets de l'industrie chimique et pharmaceutique, des élevages industriels d'animaux et des piscicultures - gros consommateurs d'antibiotiques et d'hormones de croissance -, mais aussi, paradoxalement, des hôpitaux.
Ces derniers, qui utilisent en grande quantité non seulement des médicaments, mais aussi des molécules de diagnostic et des réactifs de laboratoire, sont les principaux responsables de la dissémination de produits anticancéreux et radiopharmaceutiques, qui se retrouvent, avec les excréments des malades, dans leurs effluents. Une étude, conduite par l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), a montré que des molécules anticancéreuses très actives, présentant " un danger potentiel pour la santé humaine et l'environnement ", sont présentes " à des quantités non négligeables " dans les effluents hospitaliers, mais aussi en aval de la station d'épuration qui recueille ceux-ci.
Toutes les eaux d'évacuation, d'origine domestique, industrielle ou hospitalière, sont pourtant traitées - du moins dans les pays développés - par des stations d'épuration. Mais ces installations, qui éliminent les pollutions azotées, carbonées ou phosphorées, n'ont dans leur cahier des charges aucune obligation concernant les résidus médicamenteux. Ceux-ci ne sont que " partiellement " détruits, reconnaît une entreprise spécialisée dans la distribution et l'assainissement de l'eau.
Cette situation est due à des questions de coût et non de technique, puisqu'il existe des procédés de filtration ultrafine par des systèmes membranaires utilisés pour le dessalement de l'eau de mer, ou de piégeage par du charbon actif. Selon les classes de médicaments, l'efficacité du traitement des eaux usées varie de près de 100 % à... 0 %.
Ce sont donc des eaux chargées en traces d'antibiotiques, d'anticancéreux, d'analgésiques, d'antidépresseurs, d'anti-inflammatoires, d'hormones ou de bêta-bloquants qui retournent dans les ruisseaux, les rivières et les eaux souterraines, où ces molécules se diluent, sans toutefois disparaître. Si bien qu'elles se retrouvent ensuite dans les réseaux d'eau potable et à la sortie du robinet. Car les traitements de potabilisation, qui prennent en compte une soixantaine de paramètres, notamment microbiologiques, laissent eux aussi de côté les substances pharmaceutiques.
Quels sont les risques pour la santé humaine ? Les concentrations, indique l'Académie de pharmacie, peuvent atteindre plusieurs centaines de microgrammes (millionièmes de gramme) par litre dans les effluents et les eaux résiduaires urbaines, et quelques nanogrammes (milliardièmes de gramme) par litre dans les eaux superficielles, les eaux souterraines et les eaux de consommation.
Les quantités sont donc très inférieures à celles absorbées en cas de prescription médicale, qui sont de l'ordre de quelques dizaines ou centaines de milligrammes. Le problème est que les effets de l'ingestion régulière de faibles doses sur une longue période - toute une vie -, ainsi que du mélange des molécules dans un " cocktail thérapeutique " incontrôlé, sont aujourd'hui totalement inconnus. " Il n'existe pas de données permettant d'établir un lien de cause à effet entre ces résidus et des pathologies chez l'homme, mais il est légitime de se poser la question. Nous en sommes au stade de l'évaluation des risques sanitaires ", commente Jean-Nicolas Ormsby, du département d'expertises en santé, environnement et travail de l'Afsset. On sait toutefois que, chez certains poissons, des substances médicamenteuses, en particulier hormonales, peuvent provoquer une altération des caractères sexuels, voire un changement de sexe.
Une surveillance s'impose, " notamment pour les populations les plus sensibles comme les enfants ou les femmes enceintes ", estime l'Académie de pharmacie. Elle préconise, face à un " problème mondial ", une véritable " politique de prévention ".
Pierre Le Hir
© Le Monde

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