Alors que Sébastien Lecornu installe le groupe de travail
sur la méthanisation il me vient à l’idée d’apporter quelques suggestions basées
sur mon expérience de méthaniseur et d’injection de biométhane dans le réseau
GRDF, non sans problème, et des échanges que j’ai eus avec des collègues agriculteurs
méthaniseurs.
Ma première remarque est qu’en consultant Internet vous
pourrez découvrir que des groupes de travail sur le sujet il y en a eu déjà pas
mal y comprit en France et que peu de résultats concrets en sont sortis. Je n’ai
guère plus d’espoir sur celui installé par le secrétaire d’Etat car les membres
le composant sont tous des cols blancs et aucun n’a fait fonctionner par lui-même
un méthaniseur associé à son purificateur et le poste d’injection. Cette
technologie avant gardiste nécessite pour bien en parler d’avoir eu les mains
dans le cambouis au moins quelques semaines pour bien connaitre les aléas tant
du montage de projet jusqu’à son exploitation. Il me semblait que pour être un
expert il fallait de l’expérience, mais très souvent en France les experts se
nourrissent de l’expérience des autres pour se donner le droit d’en parler…
Quant aux objectifs d’être auto-suffisant en gaz en France
par la méthanisation en 2050 je le relativise par les mêmes annonces des
gouvernements précédents qui fixaient comme objectif 1000 méthaniseurs en 2020,
nous en sommes tout peine à 400 aujourd’hui. En 2011 quand nous avons débuté
notre projet de méthanisation l’objectif affiché de GRDF était de 100 points d’injection
en 2017, il y en a à peine 40 à ce-jours et tous ne fonctionnent pas très bien.
La difficulté vient par expérience de deux facteurs
majeurs :
-La méthanisation a besoin de l’agriculture et des
agriculteurs pour un point tout simple et bête qu’il faut d’énormes surfaces d’épandage
des digestats issus du processus biologique à raison en moyenne de 15T ou m3/hectares,
faites le calcul. Au passage certaines unités de méthanisation traitent et donc
épandent des boues de station d’épuration qui on le sait sont très souvent
chargées en perturbateurs endocriniens avec le risque de les retrouver à terme
dans notre alimentation, je traiterai bientôt cela dans un article se basant
sur les analyses de la station d’épuration de St Pourçain la plus moderne de France.
-Des normes trop contraignantes qui rendent le montage
des projets dissuasif et un coût qu’aucun industriel n’accepterait car le taux
de retour sur investissement dépasse toujours 5 ans et est en moyenne de 8 ans.
L’ADEME a d’ailleurs fait une étude très intéressante intitulée « SUIVI TECHNIQUE, ÉCONOMIQUE ET
ENVIRONNEMENTAL D'INSTALLATIONS DE PRODUCTION ET D’INJECTION DE BIOMÉTHANE DANS
LES RÉSEAUX DE GAZ NATUREL » qui
date de juin 2017 donc toute récente et basée sur le suivi de 8 unités de
méthanisation injectant dans le réseau durant 1 année et dont j’ai fait partie.
Cette étude est disponible gratuitement sur Internet.
Sur le premier point qui est le rapport entre la
méthanisation et l’agriculture, il est indispensable et n’est absolument pas
privilégié dans les mesures favorisant la méthanisation à ce jour.
Or la méthanisation c’est exactement le fonctionnement d’une
panse de vache, personne mieux qu’un éleveur peut en parler. Les agriculteurs
refusent désormais d’être le réceptacle de l’épandage des déchets de la société
et donc il y a nécessité que cette profession porte elle-même les projets pour
ne pas être juste des pourvoyeurs de surfaces d’épandage qui plus est de plus
en plus soumises à des règles draconiennes en matière de protection de l’environnement,
on veut développer la méthanisation mais on restreint les capacités d’épandage.
On le sait le plan d’épandage doit se trouver à proximité de l’unité de
méthanisation car transporter du digestat brut en masse sur des kilomètres
réduit très rapidement la rentabilité économique par sa relative faiblesse de constitution en éléments fertilisants. Une fois éliminées les zones proches des
habitations, zones inondables, zones protégées, zone en pente, zones à caractère
environnementale et autres zones en tout genre il ne reste souvent que peu de
place.
La méthanisation est en même temps un process industriel
qui se marie mal avec le système D des agriculteurs qui n’ont souvent que faire
des process, seul le résultat compte et beaucoup de fournisseurs de la
méthanisation surtout en injection se confrontent durement au bon sens paysan
qui n’est inscrit dans aucun manuel d’utilisation. C’est là un domaine où les
fournisseurs industriels et distributeurs de gaz ont du mal à s’adapter et
devront faire de très gros efforts d’adaptation.
L’agriculture produit aussi des matières indispensables pour
la méthanisation que sont soit des déchets soit des cultures mais avec les
fortes variabilités que connait l’agriculture en termes de climat, d’épizooties,
de maladies ou économiques sur les productions agricoles ce qui corrèle la
production d’énergie à l’activité agricole et ses aléas. La fluctuation des cours des animaux a un
impact direct sur le nombre d’animaux et donc de la quantité de leurs déchets
par exemple.
En outre l’agriculture va mal économiquement, par
conséquent peu d’agriculteurs peuvent se lancer dans une aventure à grand
risque économique sans mettre en péril leur exploitation agricole.
Mais qui d’autre qu’un agriculteur peut être tout à la
fois chimiste, biologiste, manutentionnaire, agent de maintenance très souvent
24h/24h sans compter son temps sur des journées sans fin pour faire tourner des
unités et tous ceux que j’ai rencontré m’ont avoué passer un temps qui est loin
de ce qui était prévu dans l’élaboration du projet.
Sur le deuxième point les normes sont un réel frein au
développement de la méthanisation car la méthanisation c’est de la production
de gaz à partir de réactions d’organismes vivants. Or comme chacun le sait le
vivant est aléatoire. Ainsi pour palier l’aléatoire la réglementation
renforce les normes qui renchérissent automatiquement le coût. On demande aux
méthaniseurs qui représentent 3% de la consommation française de produire du
gaz d’une qualité bien supérieure aux 97% importés en France. On marche sur la
tête et aucun pays ne fait la même erreur.
Ces normes rendent le montage de projets tellement
difficiles qu’il faut 4 ans en moyenne en France contre 6 mois en Allemagne pour
arriver au même résultat, sans compter l’énergie qu’il faut aux porteurs de
projets pour arriver à leur fin.
On ne considère pas en France la production d’énergie par
méthanisation comme une nouvelle énergie qui nécessiterait de partir d’une
feuille blanche, le raisonnement est de l’assimiler aux énergies existantes, de
transposer et d’imposer les normes des vieilles énergies. On impose aux
méthaniseurs qui injectent du gaz dans le réseau le même raisonnement, les
mêmes normes, les mêmes contraintes que l’utilisation du gaz fossile et son traitement
dans des terminaux industriels alimentés régulièrement en quantité et qualité. C’est un peu comme si vous vouliez arroser
votre jardin avec l’eau de votre puits en appliquant les normes des stations d’eau
potable.
Que va représenter un dixième de PCS ou 1% de méthane en
plus ou en moins pour quelques m3 produits dans un réseau alimentant des
milliers de foyers ou d’industriels consommant des milliers de m3 ? Au
lieu d’adapter les systèmes d’utilisation du gaz par le consommateur final, la
réglementation impose au producteur de s’adapter aux hypernormes décidées sur
les bases des énergies fossiles dans des instances de régulation parisiennes
toutes constituées de personnes ayant fait toute leur carrière dans les vieilles
énergies.
Dans son rapport l’ADEME ne s’y trompe d’ailleurs pas dans
ses recommandations, je cite : Par
ailleurs, pour certains composés mineurs, l'effet de dilution du réseau
pourrait également permettre d'alléger les spécifications et la réglementation
pour l'injection de biométhane.
En conclusion les solutions pour le développement de la
méthanisation sont assez faciles à trouver et n’ont pas besoin de grandes
mesures déclarées en fanfare qui n’aideront qu’à la marge.
L’implication forte des agriculteurs aux projets en assimilant
des unités de méthanisation à des outils d’exploitations agricoles et non
industriels, en diminuant les normes et contraintes ce qui permettra d’abaisser
considérablement le coût en permettant le développement d’innovations. N’oublions
pas au passage que le changement climatique rarifie la consommation d’eau et la
méthanisation est gourmande en eau, il faudra aussi trouver des procédés qui en
tiennent compte. Le développement de la méthanisation est possible si on la favorise
à petite échelle en proximité des lieux de consommation en diminuant le coût d’exploitation
et se reposant sur le milieu agricole.
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