mardi 28 décembre 2021

Limagrain et maintenant?

 


J’avais dit que je reviendrais sur les derniers évènements au sein de la gouvernance de Limagrain, le calme agricole entre Noël et l’an y est propice.

La presse locale a titré « une révolution de palais » j’aurais tendance à rectifier en « un arrangement de boutiquier ». Ce qui s’est passé n’est pas à la hauteur du 4e semencier mondial et on voit tout de suite les limites d’une gouvernance dont la base est une petite coopérative agricole du centre de la France. C’est d’ailleurs là le paradoxe, d’être capable de gérer une croissance de plus de 50 sociétés dans le monde, donc d’avoir une vision en altitude reposant sur quelques agriculteurs, dont pour certain la préoccupation se situe sur l’enjeu d’un big bag d’engrais.

Oui je sais, je ne vais pas faire plaisir à tout le monde encore une fois mais j’assume mon franc parler.

Cette superbe aventure qu’est Limagrain repose dans les faits sur quelques hommes qui se trouvent là au bon moment, au moment de choix importants parfois par chance, souvent par volonté de dépassement. Charles De Gaulle disait « l’action, ce sont les hommes au milieu de circonstances. »

Ce qui vient de se passer est la suite logique de la fusion entre Domagri et Limagrain en 2010 et qui trouve son aboutissement dans cette sans doute ultime étape.

Cette fusion a été une erreur, je l’ai assez dit à ce moment-là, car associant des agriculteurs qui pour la plupart n’avaient rien à voir ni du point de vue agricole, ni du point de vue de l’histoire syndicale et politique de l’agriculture locale.

L’assemblée générale qui a entériné cette fusion a permis à un adhérent de devenir administrateur puis vice-président alors qu’il était une heure avant un des instigateurs de l’opposition à cette fusion, il paye aujourd’hui ce retournement de veste aussi rapide que son éviction.    

Le résultat est qu’aujourd’hui les activités reprises à Domagri n’existent plus, hormis quelques silos, la partie élevage et approvisionnement ont été cédés à une structure privée et Limagrain qui a gardé le nom de l’ensemble est revenue à ce qu’elle faisait avant la fusion, les semences et les métiers des grains et de la collecte. Tout ceci s’est fait au prix de millions d’Euros gaspillés alors que bien d’autres solutions moins onéreuses étaient possibles.

C’est l’exemple même d’une vision à court terme et locale, de la part de dirigeants capables en même temps de rivaliser avec les n° 1 mondiaux de la semence.

Le choix de la vente ou du conseil imposé par la loi Egalim a été le détonateur final, le prétexte des court-termistes contre les visionnaires, la relativité en importance du big-bag d’engrais disponible à sa porte, contre l’enjeu d’une société de semence ailleurs dans le monde.

Des anciens administrateurs, pour la plupart de Domagri issus de la fusion, ne pouvaient pardonner de ne plus avoir ce big-bag d’engrais apporté par leur coopérative, alors même qu’ils ont été les fossoyeurs d’une structure qui aujourd’hui aurait permis de leur vendre. Sans la fusion nous aurions aujourd’hui la vente ET le conseil, 1+1 a toujours fait plus qu’1 tout seul, même plus gros.  

Certes cette décision du choix entre le conseil et la vente a été à mon avis prise un peu trop rapidement, il y avait un vide juridique dans la loi dans le cas précis de Limagrain qui permettait de négocier avec l’Etat voire de surseoir durant quelques temps.

Pour certains il devenait impensable de laisser vendre ce big-bag par des concurrents sur le terrain qui viendraient hors du département du Puy-de-Dôme.

 De la part d’une coopérative qui use de la concurrence pour vendre de la semence partout dans le monde je trouve cela assez schizophrène et l’hypocrise va même jusqu’à craindre une avancée territoriale d’une coopérative de l’Allier, alors qu’au moins un quart des adhérents de Limagrain s’approvisionnait déjà auprès de cette coopérative avant la loi Egalim et pour certains même par des groupements d’achat.

Le départ du directeur général il y a un an avait déjà été le fusible qu’avait été obligé de faire sauter le président pensant éteindre le feu, mais sans avoir mouillé les braises, se privant au passage d’une compétence remarquable, attaché à la cause coopérative.  

Bref par une campagne électorale bien orchestrée dans cette subtilité qu’est le fonctionnement de Limagrain par un scrutin censitaire à trois tours, il était difficile et quasiment invisible jusqu’au dernier moment de connaitre la volonté des instigateurs n’ayant fait aucune déclaration de leurs intentions à la différence en 2010 de deux camps qui s’affrontaient publiquement.

Tout s’est fait sans un mot, sans aucun reproche sur l’équipe en place, sans aucune contestation sur les choix du conseil d’administration, juste un règlement de compte entre quelques-uns prenant en otage l’ensemble des adhérents sans leur soumettre un quelconque choix.

C’est d’ailleurs ce qui me gêne le plus en tant qu’adhérent et je sais aussi d’un très grand nombre de mes collègues, que lors de mon vote personne ne m’ait proposé un choix, une alternative, des différences dans la gestion, mon vote a été utilisé sans mon avis puisqu’à ce moment aucune autre vision du conseil d’administration n’a été proposée. A ce jour une partie du conseil d’administration a été viré sans que personne ne nous ait expliqué pourquoi officiellement, cela me gêne beaucoup dans un système démocratique et d’un manque total de transparence qui est pourtant la base du fonctionnement de la coopérative. Il ne faudrait pas être surpris si dans quelques temps ceux qui ont agi de la sorte partent par la même voie, je doute d’un accord tacite majoritaire des adhérents à long terme, la voie est montrée pour que la démocratie s’exerce, même sans raison avouée.  

C’est donc l’arrangement de quelques-uns, actifs mais aussi retraités tirant de vielles ficelles, voyant d’un mauvais œil un président compétent mais ayant le défaut de ne pas être « du sud », ce territoire voulant compenser le manque de richesse de son sol par une main mise sur l'exécutif. 

Il faut savoir qu’à Limagrain, Ennezat c’est le grand nord, quant à Gannat ou St Pourçain c’est le pôle Nord, des gens infréquentables, sauf pour fournir des engrais ou des produits de défense des cultures à moindre coût.  

Un président a été choisi, sans doute parce qu’il est le dernier des dirigeants ayant plus de 10 ans d’ancienneté, c’est d’ailleurs le point faible des dirigeants à venir, de très nombreux jeunes au sein du conseil d’administration qui auront sans doute de l’expérience dans quelques années. Cela n’enlève en rien ses compétences et son expérience mais le voilà bien seul aujourd’hui alors qu'il espère ce moment depuis longtemps. 

Le renouvellement du conseil d’administration depuis quelques années a privilégié la jeunesse, c’est très bien mais c’est sans compter les accidents de parcours possibles et le temps nécessaire à s’y consacrer souvent difficilement compatible avec un début de carrière sur sa propre exploitation.

La gouvernance dans une coopérative agricole est un chemin de rencontre entre des dirigeants salariés formés de longues années dans de grandes écoles, avec des agriculteurs que seuls l’expérience, le temps à y consacrer et le bon sens compensent le plus souvent.

Je me pose la question de savoir si chez Michelin un tel phénomène aurait pu exister, si un président aurait pu être viré pour ne plus permettre que les pneus de sa voiture soient produits à Clermont-Ferrand.

Le nouveau président priorise les filières existantes et futures localement, je ne voudrais pas qu’il oublie non plus que l’an dernier les adhérents ont bénéficié d’un plutôt bon revenu, malgré le très mauvais résultat de la coopérative locale, grâce à l’apport conséquent de dividendes au niveau mondial, j’attends donc de voir la vraie différence de gouverner.

Si l’eau sera bien la clé de tout en Limagne, il reste encore quelques années avant que des solutions ne voient le jour s’appuyant par nécessité sur la taille mondiale du groupe.

A la veille d’une crise alimentaire mondiale, je ne voudrais pas que notre coopérative privilégie le repli sur soi et le manque d’ambition qui en fait sa force et son originalité car ce sont rarement les ambitions personnelles qui font les ambitions collectives.

Je me demande encore comment se serait passée la Réunion Générale d’Information, cette grande réunion de famille, que la COVID a opportunément annulé.