J’avais dit que je reviendrais sur les derniers
évènements au sein de la gouvernance de Limagrain, le calme agricole entre Noël
et l’an y est propice.
La presse locale a titré « une révolution de
palais » j’aurais tendance à rectifier en « un arrangement de
boutiquier ». Ce qui s’est passé n’est pas à la hauteur du 4e
semencier mondial et on voit tout de suite les limites d’une gouvernance dont
la base est une petite coopérative agricole du centre de la France. C’est
d’ailleurs là le paradoxe, d’être capable de gérer une croissance de plus de 50
sociétés dans le monde, donc d’avoir une vision en altitude reposant sur
quelques agriculteurs, dont pour certain la préoccupation se situe sur l’enjeu
d’un big bag d’engrais.
Oui je sais, je ne vais pas faire plaisir à tout le monde
encore une fois mais j’assume mon franc parler.
Cette superbe aventure qu’est Limagrain repose dans les faits sur quelques hommes qui se trouvent là au bon moment, au moment de choix
importants parfois par chance, souvent par volonté de dépassement. Charles De
Gaulle disait « l’action, ce sont les hommes au milieu de circonstances. »
Ce qui vient de se passer est la suite logique de la
fusion entre Domagri et Limagrain en 2010 et qui trouve son aboutissement dans
cette sans doute ultime étape.
Cette fusion a été une erreur, je l’ai assez dit à ce
moment-là, car associant des agriculteurs qui pour la plupart n’avaient rien à
voir ni du point de vue agricole, ni du point de vue de l’histoire syndicale et
politique de l’agriculture locale.
L’assemblée générale qui a entériné cette fusion a permis
à un adhérent de devenir administrateur puis vice-président alors qu’il était une
heure avant un des instigateurs de l’opposition à cette fusion, il paye
aujourd’hui ce retournement de veste aussi rapide que son éviction.
Le résultat est qu’aujourd’hui les activités reprises à
Domagri n’existent plus, hormis quelques silos, la partie élevage et approvisionnement
ont été cédés à une structure privée et Limagrain qui a gardé le nom de
l’ensemble est revenue à ce qu’elle faisait avant la fusion, les semences et
les métiers des grains et de la collecte. Tout ceci s’est fait au prix de
millions d’Euros gaspillés alors que bien d’autres solutions moins onéreuses
étaient possibles.
C’est l’exemple même d’une vision à court terme et locale,
de la part de dirigeants capables en même temps de rivaliser avec les n° 1 mondiaux
de la semence.
Le choix de la vente ou du conseil imposé par la loi
Egalim a été le détonateur final, le prétexte des court-termistes contre les
visionnaires, la relativité en importance du big-bag d’engrais disponible à sa
porte, contre l’enjeu d’une société de semence ailleurs dans le monde.
Des anciens administrateurs, pour la plupart de Domagri
issus de la fusion, ne pouvaient pardonner de ne plus avoir ce big-bag
d’engrais apporté par leur coopérative, alors même qu’ils ont été les
fossoyeurs d’une structure qui aujourd’hui aurait permis de leur vendre. Sans
la fusion nous aurions aujourd’hui la vente ET le conseil, 1+1 a toujours fait
plus qu’1 tout seul, même plus gros.
Certes cette décision du choix entre le conseil et la
vente a été à mon avis prise un peu trop rapidement, il y avait un vide
juridique dans la loi dans le cas précis de Limagrain qui permettait de
négocier avec l’Etat voire de surseoir durant quelques temps.
Pour certains il devenait impensable de laisser vendre ce
big-bag par des concurrents sur le terrain qui viendraient hors du département
du Puy-de-Dôme.
De la part d’une
coopérative qui use de la concurrence pour vendre de la semence partout dans le
monde je trouve cela assez schizophrène et l’hypocrise va même jusqu’à craindre
une avancée territoriale d’une coopérative de l’Allier, alors qu’au moins un
quart des adhérents de Limagrain s’approvisionnait déjà auprès de cette
coopérative avant la loi Egalim et pour certains même par des groupements
d’achat.
Le départ du directeur général il y a un an avait déjà
été le fusible qu’avait été obligé de faire sauter le président pensant
éteindre le feu, mais sans avoir mouillé les braises, se privant au passage d’une
compétence remarquable, attaché à la cause coopérative.
Bref par une campagne électorale bien orchestrée dans
cette subtilité qu’est le fonctionnement de Limagrain par un scrutin censitaire
à trois tours, il était difficile et quasiment invisible jusqu’au dernier
moment de connaitre la volonté des instigateurs n’ayant fait aucune déclaration
de leurs intentions à la différence en 2010 de deux camps qui s’affrontaient
publiquement.
Tout s’est fait sans un mot, sans aucun reproche sur
l’équipe en place, sans aucune contestation sur les choix du conseil
d’administration, juste un règlement de compte entre quelques-uns prenant en
otage l’ensemble des adhérents sans leur soumettre un quelconque choix.
C’est d’ailleurs ce qui me gêne le plus en tant
qu’adhérent et je sais aussi d’un très grand nombre de mes collègues, que lors
de mon vote personne ne m’ait proposé un choix, une alternative, des
différences dans la gestion, mon vote a été utilisé sans mon avis puisqu’à ce
moment aucune autre vision du conseil d’administration n’a été proposée. A ce
jour une partie du conseil d’administration a été viré sans que personne ne nous
ait expliqué pourquoi officiellement, cela me gêne beaucoup dans un système
démocratique et d’un manque total de transparence qui est pourtant la base du
fonctionnement de la coopérative. Il ne faudrait pas être surpris si dans
quelques temps ceux qui ont agi de la sorte partent par la même voie, je doute
d’un accord tacite majoritaire des adhérents à long terme, la voie est montrée pour
que la démocratie s’exerce, même sans raison avouée.
C’est donc l’arrangement de quelques-uns, actifs mais
aussi retraités tirant de vielles ficelles, voyant d’un mauvais œil un
président compétent mais ayant le défaut de ne pas être « du sud », ce territoire voulant compenser le manque de richesse de son sol par une main mise sur l'exécutif.
Il faut savoir qu’à Limagrain, Ennezat c’est le grand
nord, quant à Gannat ou St Pourçain c’est le pôle Nord, des gens infréquentables,
sauf pour fournir des engrais ou des produits de défense des cultures à moindre
coût.
Un président a été choisi, sans doute parce qu’il est le
dernier des dirigeants ayant plus de 10 ans d’ancienneté, c’est d’ailleurs le
point faible des dirigeants à venir, de très nombreux jeunes au sein du conseil
d’administration qui auront sans doute de l’expérience dans quelques années. Cela
n’enlève en rien ses compétences et son expérience mais le voilà bien seul
aujourd’hui alors qu'il espère ce moment depuis longtemps.
Le renouvellement du conseil d’administration depuis
quelques années a privilégié la jeunesse, c’est très bien mais c’est sans
compter les accidents de parcours possibles et le temps nécessaire à s’y consacrer
souvent difficilement compatible avec un début de carrière sur sa propre
exploitation.
La gouvernance dans une coopérative agricole est un
chemin de rencontre entre des dirigeants salariés formés de longues années dans
de grandes écoles, avec des agriculteurs que seuls l’expérience, le temps à y consacrer et le bon sens
compensent le plus souvent.
Je me pose la question de savoir si chez Michelin un tel
phénomène aurait pu exister, si un président aurait pu être viré pour ne plus
permettre que les pneus de sa voiture soient produits à Clermont-Ferrand.
Le nouveau président priorise les filières existantes et
futures localement, je ne voudrais pas qu’il oublie non plus que l’an dernier
les adhérents ont bénéficié d’un plutôt bon revenu, malgré le très mauvais
résultat de la coopérative locale, grâce à l’apport conséquent de dividendes au
niveau mondial, j’attends donc de voir la vraie différence de gouverner.
Si l’eau sera bien la clé de tout en Limagne, il reste
encore quelques années avant que des solutions ne voient le jour s’appuyant par
nécessité sur la taille mondiale du groupe.
A la veille d’une crise alimentaire mondiale, je ne
voudrais pas que notre coopérative privilégie le repli sur soi et le manque
d’ambition qui en fait sa force et son originalité car ce sont rarement les
ambitions personnelles qui font les ambitions collectives.
Je me demande encore comment se serait passée la Réunion
Générale d’Information, cette grande réunion de famille, que la COVID a opportunément annulé.
Bravo Manu de dire tout ce que beaucoup pensent tout bas
RépondreSupprimerComme d'habitude du grand Manu
RépondreSupprimerExcellent!!!
RépondreSupprimerTout est dit, excellent Manu
RépondreSupprimerles vérités sont parfois dures à entendre...mais il est bien qu'elles soient dites!
RépondreSupprimerTon franc parlé fait du bien
RépondreSupprimerancien salarié Domagri
RépondreSupprimeret fier de l avoir été
il y a 12 ans on nous a dit
vous allez voir ce que vous allez voir
on a vu....
tout ça pour ça
un beau gâchis
il est tant de partir, écoeuré
Bravo Manu. Tout est dit !!
RépondreSupprimerUn point de vu remarquable Mr Ferrand sur le fond et la forme.
RépondreSupprimerEffectivement ca manque d'élégance mais la grande question est celle que vous posez , au dela de la volonté du nouveau president (que je crois sincère) c'est la vision et compétence des administrateurs pour conduire un tel ensemble :au niveau global dans un univers de concurrence et au niveau local avec les agriculteurs-adhérents.
Ancien salarié Semences
Deuxième partie
RépondreSupprimerEn réponse, je vous expose mon point de vue.
J’ai toujours été attaché à une Coop au service de ses adhérents, c’est-à-dire qui leur apporte de la valeur ajoutée au travers de ses contrats de production.
Je n’ai jamais vraiment compris la notion de territoire et de part de marché car cela revient au contraire à mettre les intérêts de la structure avant celle des agriculteurs, ce qui est la tentation naturelle de toutes les coops de collecte-appro classique, présentes ou passées (et soit dit en passant, l’argument principal des opposants à la coopération).
Si des agriculteurs préfèrent travailler avec d’autres structures, c’est qu’ils considèrent, à tort ou à raison, qu’ils y ont intérêts, ce qui ne me pose aucun soucis.
La coopérative Limagrain recherche depuis plus de 30ans (pour les anciens depuis le choc de la réforme de 1992) des cultures de diversifications rémunératrices, au prix d’investissements importants, voir risqués, et pour des résultats trop souvent décevants (voir des pertes récurrentes), mais assumés pour des raisons « politiques ».
C’est la raison d’être de la reprise de la Cave Saint Verny sous la présidence de Jean-Marie Crochet, de celle de Jacquet sous celle de Pierre Pagesse et de celle de Nutrinat (légumineuses) pendant mon mandat.
Pour autant 30 ans plus tard, les résultats de la Coop comme du Groupe proviennent toujours de la filière semence, qui permet le financement de nos tentatives de diversifications.
Penser que ces filières ont besoin de la vente des phytos pour exister, c’est considérer implicitement qu’elles sont en situation d’échec.
Sur l’urgence de trouver des cultures de substitution à fortes valeurs ajoutées (invoquée dans la Montagne du 16 décembre), j’attends donc avec impatience les résultats que vont obtenir la nouvelle équipe.
Je rejoins Emmanuel dans sa conclusion sur le risque de replis de la Coopérative sur elle-même, au dépend du Groupe et à terme de ses adhérents.
Je reste bien entendu un agriculteur 100% Limagrain, ce qui n’est le cas ni de tous les adhérents, ni tous les administrateurs présents ou passés, et continue de suivre l’actualité de notre entreprise, comme je l’ai toujours fait.
Pascal, je partage complètement ton analyse. Cela me conforte dans le choix que j'ai fait de te soutenir.
SupprimerAnnick Brunier
Première partie
RépondreSupprimerJe souhaite réagir aux propos d’Emmanuel, mais aussi livrer quelques commentaires sur notre coopérative.
Je partage beaucoup de ses remarques, mais veux revenir sur deux points.
Le premier est que Limagrain n’est pas redevenu ce qu’elle était avant la fusion.
Aujourd’hui, elle représente 40 000/45 000 ha de production, toutes cultures confondues, contre moins de 10 000 auparavant. La transformation et la commercialisation par Limagrain Ingrédient de ses productions (dont la meunerie) ne sont pas comparables à la situation antérieure.
De plus les investissements locaux, passés (stockage à Ennezat), présents (moulins) ou futurs (la ligne Buns de Jacquet, si elle est toujours d’actualité) sont très (trop ?) élevés et n’ont pas d’autres raisons d’être que de de développer la filière blé.
Le second point est qu’il ne faut pas surestimer la capacité que la profession en générale, et Limagrain en particulier auraient pu avoir de négocier avec l’Etat sur la séparation du conseil et de la vente, qui était depuis l’origine un totem présidentiel.
Ces 2 sujets m’amènent à une réflexion personnelle.
Le dernier article de la Montagne (12/01/22) en reprend le début.
D’abord un questionnement sur les limites de la démocratie coopérative qui, je le répète a été statutairement respectée. Pour autant, elle a été clairement confisquée par un petit groupe (« d’actifs et de retraités » si je reprends ses termes) qui a préparé et organisé en amont la candidature des délégués dans l’opacité.
D’où un deuxième questionnement sur la représentativité des délègues et donc de la nouvelle équipe.
Ensuite sur les raisons et les motivations de cette prise de pouvoir. En effet les premières déclarations de Sebastien Vidal indiquent, je cite : - « la stratégie de l’entreprise reste inchangée » - « pas de divergences notoires vraiment fortes ». Mais qu’il faut être « un peu plus à l’écoute des adhérents » et « un petit peu plus clair sur la stratégie ».
Soit ses propos sont exacts, et c’est donc une question de personnes. Soit-il y a non-dit et on en revient aux interrogations de départs.
Quel type de coopérative ses adhérents souhaitent pour Limagrain ?
Dit autrement, quelles sont les orientations qui seront à terme, les plus utiles à nos exploitations ?