Voici un article du journal Le Monde d'hier.
Malgré la chute du mur de Berlin ce système existe toujours en Europe et le pire c'est que certains chez nous seraient prêts à nous faire adhérer à cela:
Minsk, Petrovicie, Smolievitcha Envoyé spécialDirigiste et étatisée, l'économie de la Biélorussie, tenue d'une main de fer par Alexandre Loukachenko depuis 1994, semble figée. Jusqu'à quand ?
Un jour, Sergueï Khromchenko a vu la tour Eiffel. De loin. Il était passé aux portes de Paris, au volant d'un poids lourd. Dans les années 1990, il possédait sa propre société de transport, dont il a dû se séparer. Depuis six ans, il a intégré le noyau élémentaire de l'économie biélorusse : le kolkhoze. Prononcer ce simple nom renvoie aux temps soviétiques, aux plans quinquennaux, aux structures collectives qui permettaient de vivoter sans jamais se soucier de la qualité du travail. La Biélorussie en est toujours là. Elle a réélu à la tête de l'Etat, dimanche 19 décembre, Alexandre Loukachenko. Un ancien directeur de kolkhoze.
Sergueï Khromchenko est le directeur adjoint de celui de Petrovicie, à 30 km de Minsk. Courte distance, mais autre monde, loin des vitrines de la capitale. Près de 230 personnes travaillent au kolkhoze, pour un salaire moyen de 200 dollars. Le blé est vendu à Minsk, le lait à Mogiliev.
On a approché Sergueï avec une piètre ruse, pour surmonter l'appréhension classique face à un journaliste étranger : " On nous a dit que votre kolkhoze fonctionnait bien... " Stupéfaction. " Qui vous a dit cette bêtise ? Tout est en mauvais état et ça ne date pas de mon arrivée. Les prix de l'essence et des pièces de rechange sont trop élevés. Mais surtout, la mentalité kolkhozienne n'a pas changé depuis trente ans. En résumé, "ça ne m'appartient pas donc je m'en fous". " Ici comme ailleurs, des objectifs de production sont fixés par l'administration locale. Sinon, pas de primes aux méritants. Tout le monde s'en moque.
En Biélorussie, le secteur privé représente moins de 25 % de l'activité économique. Et encore : de nombreuses sociétés sont dirigées indirectement par des fonctionnaires. " Tous les grands business appartiennent à quelqu'un au sommet, c'est une forme de capitalisme bureaucratique dans lequel les fonctionnaires sont intéressés par la préservation du régime ", affirme le politologue Andreï Liakhouch.
Cette vampirisation de l'économie n'est guère aisée à décrypter pour les observateurs, comme le souligne un diplomate européen. " L'administration présidentielle gère un Etat dans l'Etat, en contrôlant directement des entreprises, des hôtels, des restaurants. Tout cela est totalement sous-évalué par les analystes qui annoncent toujours une crise à venir ", estime M. Liakhouch.
La crise, Youri Toumakha en a pâti en 2009. Cet entrepreneur énergique de 58 ans dirige Dorelektramach, qui construit des équipements pour tracteurs et des trolleybus. Située dans le village de Smolievitcha, à 20 km de Minsk, l'entreprise privée emploie 436 personnes et gagne de l'argent (près de 1 million d'euros en 2010).
M. Toumakha a réussi seul, sans aide de l'Etat. Il en est fier. Mais il vote Loukachenko. On s'étonne. " Je le fais au nom de la stabilité, explique-t-il. Il y a une bonne dynamique. Les choses s'améliorent, les impôts se simplifient. Mieux vaut une évolution qu'une révolution. " L'entrepreneur se félicite de " la préservation de la culture industrielle biélorusse ", et assure qu'il est maître chez lui. Comme il emploie plus de 300 salariés, il a dû accepter de désigner un adjoint chargé de l'idéologie : " On n'a fait que rallonger l'intitulé de sa carte de visite, ça ne change rien ! "
Tout le monde ne partage pas sa bonhomie. Viktor Khomiarchouk, par exemple. Il a fondé une des premières sociétés d'assurances en Biélorussie, dès la chute de l'Union soviétique. La société était en plein boom jusqu'à l'arrivée au pouvoir de M. Loukachenko, en 1994. Au tournant des années 2000, l'Etat a décidé de mettre la main sur l'assurance automobile.
Les sociétés privées ne représentent plus que 14 % du secteur, contre 70 % en 2000. " On a assisté à une nationalisation de l'assurance, soit par une prise de contrôle directe, soit par l'interdiction d'intervenir dans certains domaines, explique M. Khomiarchouk, qui est aussi le vice-président de l'Union des entrepreneurs. Cette expérimentation extraordinairement idiote n'a donné aucun résultat. "
Une des raisons pour lesquelles le système subsiste est le souci qu'a le régime du " contrat social ", comme on dit à Minsk. Les pensions de retraite sont payées à l'heure ; les écoles et les soins médicaux restent de qualité. Début décembre, le président a instauré la gratuité des transports pour les étudiants. Ici, l'Etat contrôle tout, notamment les prix : le pain, les produits laitiers, les fruits et légumes, la viande de base, la vodka, l'essence, les transports, etc.
" Notre système est dirigiste, très peu efficace, note l'économiste Leonid Zlotnikov. On a créé l'apparence d'une société florissante, mais la croissance dont se vantait le pouvoir dans les années 2000 n'a pas existé. Les statistiques ont été multipliées par deux artificiellement. " A cela s'est ajoutée l'aide russe, sous toutes ses formes.
Au lieu d'investir dans la modernisation des outils industriels, le régime biélorusse a utilisé cet argent pour assurer les dépenses sociales et soutenir des entreprises publiques à la dérive. Un des exemples fameux est l'usine de montres, à Minsk, dont la société suisse Franck Muller vient de racheter 52 % des parts.
Nous avons voulu vérifier auprès du directeur s'il était vrai que les stocks d'invendus représentaient plusieurs années de production (vingt-huit mois exactement, fin 2008, selon M. Zlotnikov). La direction nous a renvoyés vers le ministère de l'industrie qui nous a renvoyés vers l'administration présidentielle, qui nous a renvoyés vers le ministère de l'industrie, qui nous a fait savoir que l'usine ne jugeait pas le moment opportun pour une interview. " Vous comprenez, les élections... "
Piotr Smolar
© Le Monde
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